Faire un apprentissage au Pays de Bade n’est certes pas la solution miracle au chômage de tous les 15-25 ans en Alsace. Mais avec 2% de chômage des jeunes il est pour le moins intéressant de regarder du côté de nos voisins si l’une ou l’autre méthode pédagogique n’est pas adaptable en Alsace. La conférence-débat « L’apprentissage de part et d’autre du Rhin » était organisée par le MoDem à Colmar.
Aude Locquet était une pionnière lorsqu’en 2013 elle a débuté un apprentissage à la jardinerie Gueth à Breisach tout en continuant sa formation théorique au lycée de Wintzenheim. Seulement quelques dizaines d’apprentis alsaciens lui ont emboité le pas, alors que les patrons du Pays de Bade cherchent désespérément des apprentis. A 19 ans son volontarisme et la pertinence de son regard à la fois enthousiaste et critique sur le monde professionnel transfrontalier a impressionné les patrons chevronnés avec lesquels elle a débattu ainsi que le public dans lequel s’est glissée la conseillère régionale Denise Buhl.
Le panorama historique de l’apprentissage en Alsace à travers les siècles, présenté par Jean-Charles Lambert, responsable pendant 20 ans de l’enseignement professionnel au rectorat de Strasbourg, a montré l’adaptation au cours des siècles de l’apprentissage aux besoins de l’économie et aux changements politiques.
Certes, la bonne santé économique et le déficit démographique en Allemagne sont actuellement en grande partie responsables du bas niveau du chômage des jeunes outre-Rhin. Mais ce ne sont pas les seules raisons de la réussite de l’apprentissage outre-Rhin.
Plusieurs témoins ont fait valoir que l’image de l’apprenti et du maitre d’apprentissage est bien meilleure en Allemagne ou en Suisse qu’en France. Aude Locquet a aussi mis en avant la forte responsabilisation des apprentis en Allemagne. « L’apprentissage n’est pas ringard. C’est bien de travailler », dit-elle avec force. Dans le public, une chef d’entreprise venue d’Epinal a demandé pour sa part qu’en France on propose plus souvent l’apprentissage également à des jeunes qui ne sont pas en échec scolaire. Hubert Schaff, directeur général de la filiale haut-rhinoise de l’entreprise allemande Pöppelmann, embauche tous les jeunes à la fin de leur apprentissage. Pöppelmann investit dans la formation et bénéficie ensuite des compétences de techniciens, ingénieurs et autres employés bien formés. Mais il aimerait entendre plus souvent ce qu’une apprentie allemande lui a récemment dit : « Je veux rendre à l’entreprise ce qu’elle m’a donné ».
Aude Locquet dit avec des étoiles dans les yeux qu’elle aime se lever le matin pour aller au travail. Elle ne cache pas pour autant que pendant son apprentissage certains camarades français l’ont traitée de « boche » alors que d’autres l’admiraient. Elle était moins bien payée que ses camarades apprentis en France et maintenant son diplôme de « technicienne conseillère en jardinage » n’est pas reconnu en Allemagne. Qu’à cela ne tienne, elle vient de débuter une formation diplomante de fleuriste à Fribourg en plus de son travail à Breisach. Elle est persuadée d’être ainsi mieux armée pour le marché du travail que ses camarades et surtout que les jeunes qui refusent de se former. Christian Clémencelle, chef d’entreprise en Haute-Saône très impliqué dans diverses organisations patronales françaises, a apprécié cette volonté de la jeune femme de sortir de sa zone de confort : « La mobilité, c’est très bien et de plus en plus demandé.»
L’importance de savoir parler la langue du voisin en même temps que l’anglais, même si on ne se destine pas à une carrière internationale, a fait consensus parmi les participants et le public. Aude Locquet a insisté sur le fait qu’il ne faut pas attendre d’avoir 18 ans et une éventuelle perspective d’emploi en Allemagne pour s’en préoccuper. Et dans le public, Tobias Fahrländer, l’un des responsables des relations transfrontalières au Landratsamt Breisgau-Hochschwarzwald à Freiburg a confirmé que les entreprises du Pays de Bade cherchent toujours des apprentis et des employés malgré l’arrivée d’un grand nombre de réfugiés.
Christian Clémencelle n’a pas été contredit quand il a insisté sur la nécessité de s’adapter aux changements rapides dans le monde professionnel. Jean-Charles Lambert a complété par un exemple : « De nos jours un charpentier doit aussi maitriser les logiciels 3D et la commande numérique. » La formation initiale et continue grâce à diverses aides trop peu connues doit permettre aux salariés et demandeurs d’emploi de mettre toutes les chances de leur côté. C’est d’autant plus nécessaire a relevé Jean-Charles Lambert, que les formations initiales ne seront jamais en adéquation exacte avec les besoins des entreprises dans un monde professionnel en rapide mutation. En même temps Hubert Schaff aimerait que l’expérience soit mieux valorisée par exemple par les VAE (validation des acquis de l’expérience).
Le débat animé par Anne Laszlo s’est terminé par un vibrant plaidoyer à quatre voix pour le travail, l’entreprise, la formation et la responsabilité de chacun dans son domaine de compétence.
Tristan Denéchaud, responsable du MoDem Colmar-Rhin Vosges veut proposer cette année encore un nouveau débat sur un sujet politique « au plus près des préoccupations des citoyens ».